La « paluche », arme fatale de la police judiciaire – LA PROVENCE

Article de « La Provence »

On oublie trop souvent les empreintes palmaires (de la main quoi). 6,1 millions de traces enregistrés dans leur base (FAED) … Sortez couvert 🙂

 

La « paluche », arme fatale de la police judiciaire
Alors qu’en 20 ans, l’ADN s’est imposé dans l’inconscient collectif comme « la » preuve ultime, la trace papillaire – la « paluche » dans le jargon – n’a pas dit son dernier mot, grâce à un fichier national contenant actuellement 6,1 millions de profils…

Par Romain Capdepon

Les laboratoires utilisent des supports poreux (papier, carton) et un bain de ninhydrine pour révéler les traces papillaires.

Alphonse Bertillon, le fondateur du premier laboratoire de police d’identification criminelle et créateur de l’anthropométrie judiciaire (le fichage par les dimensions d’une personne), a mis un certain temps, voire un temps certain, avant de rallier la cause des empreintes digitales, concurrentes directes de sa méthode. Jusqu’à ce qu’en 1902, les traces papillaires d’Henri-Léon Scheffer permettent de le confondre pour le meurtre de son jeune domestique.

Les « paluches », comme on dit dans le jargon policier, deviennent alors l’alpha et l’oméga de l’identification de suspects. Mais jusque dans les années 80, les enquêteurs s’épuisent à recouper manuellement des milliers de fiches cartonnées. Peu après une historique affaire marseillaise – celle de l’assassinat du juge Michel, pendant laquelle il faudra des mois avant de déterminer à qui appartenaient des traces relevées sur une moto – sera créé, en 1987, le Fichier national des empreintes digitales (FAED).

Aujourd’hui, plus de 6,1 millions de ces traces – qui se forment au 3e mois de la vie du foetus par un plissement des couches cellulaires – sont enregistrées dans ce fichier informatisé. Une marque unique à chaque être humain. Même entre jumeaux, contrairement à l’ADN…

Au début des années 2000, son exploitation supplante dans l’inconscient collectif celle des empreintes digitales et la trace génétique devient « la » preuve ultime. « Au point qu’aujourd’hui encore, même quand on a des traces papillaires magnifiques, certains magistrats demandent confirmation par une analyse ADN, alors que ça coûte bien plus cher », peste un enquêteur. Si actuellement 2,8 millions d’individus sont entrés – pour 40 ans maximum après une condamnation – dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) et que les identifications sont 50% plus nombreuses grâce à un cheveu, une goutte de sueur ou de sang, les « paluches » font de la résistance.

Au point que les Services régionaux d’identité judiciaire (SRIJ) modernisent les 58 plateaux techniques, répartis sur le pays, qui servent à les révéler. Celui installé depuis deux ans dans les locaux de la police du 8e arrondissement, sous la houlette du Service régional de police judiciaire (SRPJ) de Marseille, a même récemment reçu une habilitation européenne, visant à garantir des standards de qualité permettant aux preuves d’être exploitées sur tout le Vieux continent.

Destinataire de scellés adressés par les enquêteurs des Bouches-du-Rhône, du Gard, de l’Hérault, du Vaucluse et de Corse, qu’il s’agisse d’affaires de délinquance de masse (cambriolages, dégradations, vols à la roulotte etc.) ou de délits graves voire de crimes, ce plateau tourne à plein régime. Rien qu’au premier semestre 2018, environ 3 000 pièces y ont été analysées, soit le double par rapport à toute l’année 2017. Sur ces scellés, dont 70 % étaient envoyés par la police judiciaire, 84 traces ont été révélées et au final, grâce à la sélection faite par l’ordinateur et aux comparaisons des 12 points d’occurrence nécessaires et toujours effectuées par les techniciens, 54 personnes ont été identifiées. Soit grâce aux vapeurs de cyanoacrylate qui révèlent les traces sur les surfaces lisses et sèches, soit par un bain de ninhydrine pour celles poreuses, comme le papier, le carton.

L’oreille aussi laisse sa trace
Car malgré une idée préconçue, bon nombre de délinquants font preuve d’un certain manque de précautions. « Dans certaines affaires, on manque de ‘biscuit’ et les traces papillaires nous orientent énormément encore. D’autant que, contrairement à l’ADN, les résultats peuvent arriver pendant le temps de la garde à vue, ce qui peut permettre de pousser un suspect dans ces retranchements, assure le coordonnateur départemental de la police technique et scientifique. Encore récemment sur l’affaire du bus lourdement dégradé sur le Prado après la finale du Mondial, ça a été déterminant. Nos ‘clients’, comme on les appelle, regardent les séries télé bien sûr, mais certains font encore des erreurs ou sont gênés par une situation. Par exemple en plein été, c’est forcément louche de traîner autour d’une maison avec des gants… »

D’autant que la science ne cesse d’avancer. Si les traces palmaires – de la paume de la main – sont également utilisées depuis une douzaine d’années, un enquêteur lyonnais est récemment parvenu à identifier un suspect grâce à l’empreinte de son… oreille !