Gilet Jaune et Malfaiteur – LM, Iaata, Mediapart

— Articles sur le camarade en préventive pour une clé facteur et un refus ADN…


 

En soutien à R., en prison à Toulouse depuis 2 semaines pour une « association de malfaiteurs » imaginaire

paru dans lundimatin#178, le 19 février 2019

Depuis 2 semaines, un certain R. est en détention provisoire à la prison de Seysse, à Toulouse, dans le cadre d’une enquête pour association de malfaiteurs. Mediapart vient de publier un article détaillé sur cette affaire. Ici, nous publions un récit que nous ont transmis les amis de R.
Samedi 2 janvier dernier, un peu avant le début de l’acte XII du mouvement des Gilets Jaunes à Toulouse, R. descend dans la rue fumer une cigarette pour observer à distance un contrôle de police. Une fois le contrôle terminé, les policiers se dirigent vers lui, l’interpellent, l’emmènent au comissariat pour un contrôle d’identité et le placent en garde à vue. Il est ensuite présenté à un juge d’instruction pour refus d’ADN, identité imaginaire et « association de malfaiteurs en vue de commettre des dégradations » et se retrouve, depuis, en détention provisoire. Ce dernier chef d’inculpation est particulièrement préoccupant puisqu’il permet d’incriminer des personnes (en l’occurence, une seule) sans qu’aucun délit n’ait vraiment eu lieu. Dans la présente affaire, R. est arrêté sur la simple base d’une attitude légèrement suspecte puis une enquête est ouverte qui tente, a posteriori, de construire sa culpabilité par tous les moyens. Mais le dossier est toujours vide à l’heure qu’il est, et R. toujours en prison.

Le mouvement des Gilets Jaunes ne se laisse pas abattre. Pourtant, des obstacles toujours plus nombreux se dressent face à la détermination populaire. Le mouvement a su éviter les pièges de la représentation (parti, liste aux européennes) et de la négociation (grand débat) qui auraient pu précipiter son déclin en le divisant, en isolant les franges les plus radicales. Mais il a également du faire face à une répression protéiforme : présence policière massive, usage débridé des armes dîtes non-létales, mutilations assumées pendant les manifestations et, sur le plan juridique, des centaines d’arrestations préventives, des peines extrêmement lourdes à l’issue des procès et bientôt la loi anti-casseurs.

À cette criminalisation de la lutte s’ajoute le lent travail d’enquête, moins spectaculaire mais tout aussi pernicieux, dont nous voulons exposer ici quelques ressorts et la profonde grossièreté. À Toulouse en particulier, la préfecture annonçait fin janvier la création d’un groupe d’enquête spéciale Gilets Jaunes, composé d’une dizaine de policiers de la sûreté départementale et d’« investigateurs en cybercriminalité ». Ceux-ci travaillent en collaboration avec le parquet et sous la direction du procureur. Il y a quelques semaines, La Dépêche signalait une quarantaine d’enquêtes en cours en rapport avec le mouvement des Gilets Jaunes pour la seule région toulousaine. De récentes perquisitions réalisées dans le cadre de ces instructions révèlent le sale travail de la justice : en plus d’enquêtes portant sur des faits précis, un certain nombre d’affaires concernent des « associations de malfaiteurs en vue de commettre » des crimes ou des délits plus ou moins graves, comme c’est le cas dans l’histoire qui va suivre. Cette incrimination a l’avantage de pouvoir cibler n’importe quelle personne légèrement suspecte puisqu’elle n’a pas besoin de faits pour l’étayer mais seulement d’intentions.

Nous sommes le samedi 2 janvier, acte XII des Gilets Jaunes dit « contre les violences policières ». Comme chaque samedi depuis des semaines, les forces de l’ordre disposent d’un arrêté préfectoral pour procéder à des contrôles dans tout le centre-ville. Ils peuvent ainsi vérifier les identités, fouiller les sacs et procéder à des arrestations préventives comme bon leur semble.

Ce jour-là, alors que la police nationale contrôle un groupe de personnes dans le quartier François Verdier, R. est à la fenêtre ; il garde alors T., la fille d’une amie, à son domicile. Intrigué par la situation, il descend dans la rue et allume une cigarette. Quand la BAC arrive en renfort, le groupe contrôlé est en train de repartir. Mais les policiers, sans doute déçus, veulent rentabiliser leur intervention et procèdent alors au contrôle de R. N’ayant pas ses papiers sur lui, il est emmené au commissariat pour une vérification d’identité. Lorsqu’on lui demande son ADN, il refuse et est placé en garde à vue. 48 heures plus tard, il est présenté à une juge d’instruction, mis en examen, et placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Seysses. À ce stade, rien n’est communiqué à ses proches quant aux faits qui lui sont reprochés.

On apprendra plus tard, au moment de perquisitions de son domicile ainsi que celui de la petite fille dont il s’occupait, que le prévenu a été placé en détention pour son rôle dans une « association de malfaiteurs en vue de commettre des dégradations passibles de plus de dix ans de prison ».

À ce jour, R. est le seul malfaiteur de cette prétendue « association ». Au cœur du dossier : des « PV de contextes » relatant les manifestations depuis novembre et un jeu de clés suspicieux trouvé sur le détenu et qui serait, selon la police, « caractéristique du fonctionnement des activistes d’ultragauche pilotant le mouvement des gilets jaunes et leurs manifestations, en tout cas sur la ville de Toulouse ». Au delà de ça, aucune infraction, même mineure.

Me Dujardin, avocate du prévenu, confirmera que cette association de malfaiteurs n’est caractérisée par aucun fait matériel et que le dossier est fondé essentiellement sur des notes blanches et des « éléments de contexte » :« Pour une instruction pénale, il faut des indices sérieux et concordants ; là, il n’y a même pas le début d’un commencement. On sait que l’association de malfaiteurs est une infraction fourre-tout mais en général, il y a quand même quelques faits caractérisés permettant de faire le raccord. Là, non. »

À L’AFFÛT DE PREUVES ET DE RENSEIGNEMENTS

Mercredi 6 février donc, en début de soirée, deux perquisitions ont lieu simultanément.

La première se déroule au domicile du prévenu, alors que les colocataires s’apprêtent à manger. Une quarantaine de policiers, arme au poing, accompagnés par ce qui semble être la juge d’instruction, Madame Billot (elle n’a pas voulu décliner son identité), investissent le logement ainsi que celui des voisins (pour vérifier que personne ne s’y cache). La rue est bloquée, le quartier sécurisé. Le prévenu, menotté, assiste à la perquisition qui durera trois heures.

Un premier tour des lieux est effectué par trois chiens : recherche d’explosifs, de stupéfiants, et de billets de banque. Peine perdue, les chiens repartent bredouilles. Les personnes présentes sur place ne peuvent sortir de la cuisine, pendant que les policiers mettent la maison sens dessus dessous, pièce par pièce, emportant l’ensemble du matériel informatique (ordinateurs, téléphones portables, clés usb) mais aussi des livres, des tracts, des brochures et de l’argent.

Malgré les demandes répétées des personnes présentes, les policiers refusent de montrer le mandat leur permettant d’effectuer cette perquisition. Toutes les chambres sont visitées, sans exception, en l’absence des personnes y vivant, et chacun des habitant.e.s perdra une partie de ses effets personnels et outils de travail au cours de l’opération. Ils parviennent tout de même à se faire expliquer que la perquisition est effectuée sous l’ordre d’une juge dans le cadre d’une instruction ouverte pour refus d’ADN, identité imaginaire et association de malfaiteurs.

UNE PERQUISITION « UN PEU JUSTE »

La seconde perquisition se déroule dans l’appartement où R. faisait du baby-sitting le jour de son arrestation. A 20h, T. et sa nouvelle baby-sitter rentrent de la piscine. La rue est bouclée, des policiers gardent l’entrée de l’immeuble pendant que d’autres sont déjà en train de fracturer les serrures de la porte de l’appartement. Le mandat de perquisition n’étant au nom d’aucun habitant, la baby-sitter souhaite partir avec l’enfant. Elle est alors saisie par les bras et menacée d’être embarquée à son tour : « De toute façon, on va rentrer ».

Une fois à l’intérieur, aucune gêne. Pendant que des policiers cagoulés jouent avec leurs armes de service et leurs gazeuses, d’autres s’assoient sur les lits, se prenant en selfie dans l’une des chambres. Des policières tentent même, avec le plus grand sérieux, d’interroger T. de manière tout à fait illégale, en lui proposant de jouer « au jeu des questions ». « Au jeu des questions, sérieux ? » répondra cette dernière presque déçue par leur manque évident de subtilité. Dans la bibliothèque, d’autres s’exclament « Ça fait mal à la tête tous ces livres ! ».

Devant l’insistance de la baby-sitter qui conteste la légalité de la procédure, les policiers avouent que celle-ci est « un peu juste », mais menacent de l’embarquer si elle continue de s’opposer. Sans laisser plus d’indication ni aucune trace écrite, ils prendront tout le matériel informatique, ordinateur de la baby-sitter compris, ainsi que deux brochures sur le mouvement des Gilets Jaunes et un carnet de notes. Ils finiront par « décommander les chiens » et partir une heure et demi plus tard. Ils n’auront pas trouvé la manufacture de gilets jaunes destinée au marché noir égyptien, cachée sous le lit.

L’ASSOCIATION D’UN MALFAITEUR

En dehors du fait que les méthodes utilisées pendant les perquisitions soient scandaleuses (dégradation, menaces physiques, intimidation envers mineur, prise de photos pour un usage personnel…), les saisies massives (une dizaine d’ordinateurs, plusieurs téléphones, de multiples habits n’appartenant pas au prévenu mais aux autres habitants) et la visite d’un appartement où il est clair pour tout le monde que R. n’habite pas, montrent à quel point l’opération consiste à récupérer le plus d’informations possible, à mettre en lien des personnes et à venir chercher dans leur vie privée dans l’espoir d’obtenir le moindre élément incriminant. L’enquête ne cherche visiblement pas à trouver des auteurs pour des méfaits mais inversement à trouver des méfaits pour justifier, a posteriori, l’incarcération d’une personne et la suspicion de ses proches. Tout se passe comme si l’instruction de départ était ouverte dans le cadre le plus lâche et souple possible pour donner à la justice tous les moyens d’enquêter et de glaner des renseignements, quitte à le faire seulement une fois qu’un individu peu collaboratif a eu la malchance de tomber entre les mains des policiers. Reste qu’à l’heure qu’il est, le dossier qui incrimine R. est totalement vide : son attitude suspecte lors du contrôle de police ainsi que le refus du fichage ADN sont les seuls éléments « tangibles », mais rien ne vient attester d’une quelconque « association en vue de commettre » on ne sait quels crimes ou délits. Finalement, peu importe : l’« association de malfaiteurs » aura au moins permis de récolter toutes sortes d’informations et d’envoyer pour quelques temps encore un Gilet Jaune en prison.

Dans le cadre du mouvement, ce type de procédure peut toucher plus ou moins tout le monde. La plupart des manifestations n’étant pas déclarées et l’organisation du mouvement se faisant en dehors de tout cadre institutionnel (syndical ou autre), n’importe quel Gilet Jaune qui s’organise un minimum est potentiellement en train de constituer une association de malfaiteurs en vue de commettre des délits.

L’intensité du mouvement Gilets Jaunes a accéléré l’usage tous azimuts des moyens de répression. La logique est simple : il s’agit de marquer les corps et les esprits, épuiser et intimider afin de casser les dynamiques, combiner la violence physique avec des peines de prisons et l’ouverture de larges instructions pour obtenir le plus d’informations possibles.

Mais si juges et policiers cherchent à isoler des malfaiteurs, c’est pour mieux cacher que chaque samedi et en semaine ce sont des milliers de gilets jaunes qui s’associent pour faire plier le gouvernement et marcher sur la tête des rois.

https://lundi.am/Nous-sommes-le-samedi-2-janvier-acte-XII-des-Gilets-Jaunes-dit-contre-les


D’un contrôle d’identité à une détention provisoire, une collaboration police-justice.

Publié le 17 février 2019

Après bientôt trois mois d’une contestation massive et acharnée, le mouvement des gilets jaunes n’en finit pas de ne pas finir, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas du goût du pouvoir.
Récit d’une nouvelle opération de police, sous les ordres de Mme Billot, juge d’instruction.

Samedi 2 février, alors que se prépare l’acte XII des gilets jaunes, les flics, munis d’une réquisition du procureur, procèdent à leurs rondes habituelles. Contrôles d’identité, fouilles, confiscation du matériel de défense, comme depuis des semaines, ils répriment en préventif.

Ce même jour, alors qu’il garde une enfant, R assiste depuis la fenêtre à l’un de ces contrôles. Descendu fumer une clope dans la rue, il est à son tour contrôlé. N’ayant pas ses papiers, il est emmené au poste, où il refuse le fichage ADN. Il est alors placé en GAV.

48 heures plus tard, on apprend avec stupeur qu’il est présenté à une juge d’instruction, mis en examen pour association de malfaiteur, refus d’ADN et identité imaginaire, et placé en détention provisoire. Aoutch.

Deux jours plus tard, mercredi 6 février, en début de soirée, vers 20h30, deux perquisitions ont lieu. Au domicile du prévenu, et dans l’appartement dans lequel il se trouvait avant de descendre fumer une clope le samedi après-midi.
En tout c’est près de de 60 flics qui débarquent armes au poing dans les domiciles, refusant de montrer la commission rogatoire qui leur permet ces violations de la vie privée. Ils retournent toutes les chambres et les parties communes, garage compris, indistinctement, et saisissent ordinateurs, clés usb, téléphones portables mais aussi thunes, tracts, livres, fringues ou encore factures. Ils iront jusqu’à fouiller les poubelles.

L’ensemble de la procédure paraît bien brinquebalante. Leurs dossiers sont vides et il va bien falloir les remplir. Pour ça, le fameux couple police et justice fabrique de la culpabilité à la pelle, et tous les prétextes sont bons, il s’agit pour eux de rendre des résultats, de justifier des moyens engagés, de montrer à la population que le pouvoir gère encore, de faire rentrer les gens chez eux.

Fin janvier, la préfecture annonçait la création à Toulouse d’un groupe d’enquête spéciale Gilets Jaunes, composé d’une dizaine de policiers de la sûreté départementale et d’« investigateurs en cybercriminalité ». Ils travaillent en collaboration avec le parquet et sous la direction du procureur. A leur disposition les heures d’images produites chaque samedi : ils les passent au peigne fin avec pour objectif l’identification des manifestant.es. Déjà une quarantaine d’enquêtes semblent avoir été ouvertes. 
L’association de malfaiteurs qu’ils ressortent ici, est de plus en plus utilisée ces dernières années, véritable fourre-tout juridique permettant à la justice et la police de faire ce qu’ils veulent. Elle ne vise pas à incriminer pour des faits en particulier mais à réprimer à plus grande ampleur. Ce qui est visé, ce sont les liens, le soutien, l’ambiance qui permet à la contestation d’exister sous toutes ses formes, c’est « l’entente en vue de » Cela leur permet notamment de mettre en place des écoutes téléphoniques, des géolocalisations, des filatures, des perquisitions, de la surveillance informatique et de suspecter ceux et celles qui ne veulent plus subir sans rien dire.

La procédure à laquelle on assiste ici est autant exceptionnelle qu’elle se banalise. C’est en fait la continuité de ce qui se passe dans la rue : en frapper un pour en effrayer cent. Marquer les corps et les esprits. Instiller la peur et l’angoisse. Faire rentrer les gens chez eux. Enrayer la dynamique de lutte.
Les blessures physiques et psychologiques, les mains arrachées, les regards éborgnés, les traumatismes face aux violences et leurs nuages de gaz. Les condamnations à la chaîne dans les chambres de comparutions immédiates, les peines de prison, les amendes et les interdictions de manifester.
Les instructions, les perquisitions et le sentiment permanent d’être scruté, épié, observé.
C’est l’arsenal dont dispose aujourd’hui le pouvoir pour maintenir son ordre et ses privilèges.

La violence que déploie aujourd’hui le pouvoir pour se défendre a cela d’exceptionnel qu’elle vient dévoiler la brutalité que nous subissons au quotidien. Mépris, exploitation, boulots de merde, loyers démesurés, crédit à vie et vice-versa. 
Ce sont ces conditions d’existence face auxquelles nous sommes des dizaines de milliers à crier nos rages. 
Et pour ceux qui nous exploitent, pas question de lâcher, ils ont un monde de privilèges à défendre, ils ont leur beurre à faire sur notre dos et des armes policières et juridiques pour continuer à le faire.

A travers ce type d’enquêtes ou d’instruction, c’est le mouvement en cours dans son ensemble qui est directement attaqué. C’est une tentative de plus visant à diviser les manifestant·e·s, en isolant certaines personnes, alors même que l’on assiste depuis plusieurs semaines à un large mouvement populaire qui prend la rue en s’exprimant de manière plurielle. Ne nous laissons pas faire et affirmons ensemble « Nous sommes tou.te.s des malfaiteurs »

P.-S.

Face à la répression, l’enfermement, la brutalité du pouvoir, tenons nous ensemble et organisons nous.

Pour envoyer du soutien, pour plus d’infos, ou pour s’organiser ensemble, contacter la Défense Collective (http://defensecollectivetoulouse.noblogs.org)

https://iaata.info/D-un-controle-d-identite-a-une-detention-provisoire-une-collaboration-police-3113.html


ARTICLE MEDIAPART 1

À Toulouse, sur fond de gilets jaunes, resurgit le spectre d’une affaire Tarnac
17 février 2019 Par Emmanuel Riondé [article de Mediapart]

Début février, une mise en examen pour association de malfaiteurs et deux perquisitions mobilisant plusieurs dizaines de policiers ont visé des militants de la sphère autonome. Un coup de pression, malgré un dossier vide, sur des éléments classés « anarchistes » et supposés actifs au sein des « gilets jaunes ».

Toulouse (Haute-Garonne), de notre correspondant.- Samedi 2 février, R. garde la fille d’une amie chez elle, dans un appartement situé dans le quartier de la préfecture. C’est le milieu de la journée, la manifestation de l’acte XII va bientôt démarrer. Voyant des policiers contrôler un groupe de personnes dans la rue, il descend fumer une cigarette et observer ce qui se passe. Interpellé pour une vérification d’identité, R. refuse de la décliner et de donner son ADN. Il en a le droit mais il s’agit d’un délit. Il est placé en garde à vue.

Le 4 février, R. est présenté à la juge d’instruction Élodie Billot, l’un des deux magistrats qui, en janvier 2018, avaient rendu une ordonnance de non-lieu dans le dossier de la mort de Rémi Fraisse à Sivens. Il est mis en examen pour association de malfaiteurs et placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Seysses. Mardi 19 février, la cour d’appel du TGI de Toulouse examinera son ordonnance de placement en détention provisoire. « On veut qu’il bénéficie au moins de mesures de contrôle judiciaire » lui permettant de sortir de prison, annonce son avocate Claire Dujardin.

Qu’y a t-il dans le dossier ? Le procureur du TGI de Toulouse, Dominique Alzeari, nous oppose le secret de l’instruction en cours. Tout en confirmant l’interpellation, puis la mise en examen de R. pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de destruction et des dégradations graves » et pour « plusieurs délits connexes, dont le refus de se soumettre aux relevés d’empreintes, le refus de se soumettre aux examens génétiques ou encore l’usurpation d’identité d’un tiers ».

Mais selon les informations que nous avons pu recueillir auprès de diverses sources proches de l’enquête, rien ne justifierait ce placement en détention. De nombreux « PV de contextes » relatant les manifestations depuis novembre figurent dans le dossier, mais aucune infraction, même mineure, impliquant R. n’y apparaît.

« Cette association de malfaiteurs n’est caractérisée par aucun fait matériel, déplore son avocate. Pour une instruction pénale, il faut des indices sérieux et concordants ; là, il n’y a même pas le début d’un commencement. On sait que l’association de malfaiteurs est une infraction fourre-tout mais en général, il y a quand même quelques faits caractérisés permettant de faire le raccord. Là, non. » En lieu et place figurent surtout des notes blanches et des « éléments de contexte », dont certains évoquent, de fait, un mauvais remake de « l’affaire Tarnac ».

Ainsi cette évocation d’un « groupe de 7 personnes, porteuses de sacs volumineux et présentant les caractéristiques des membres de l’ultragauche… » Des sacs qui s’avèreront dissimuler des duvets et des « denrées alimentaires sans intérêt », mais peu importe : « Au vu des éléments de contexte, des renseignements recueillis et du profil de certains interpellés depuis les 12 samedis de manifestations toulousaines, il est permis de penser que les activistes d’ultragauche et des mouvements anarchistes constituent le noyau des casseurs “black bloc” et semblent constituer les leaders du mouvement insurrectionnel », est-il noté dans un procès-verbal.

« Ce sont des fantasmes complets à coups de “il est permis de penser que…”, s’emporte Claire Dujardin. C’est du prédictif pur ! On suppose qu’il a peut-être, et probablement avec d’autres, commis des infractions… » Au cœur de ces supputations, un « jeu de clefs et de passes » trouvé sur le détenu qui serait, selon la police, « caractéristique du fonctionnement des activistes d’ultragauche pilotant le mouvement des gilets jaunes et leurs manifestations, en tout cas sur la ville de Toulouse ».

Consultée par Mediapart, une avocate pénaliste ayant 20 ans d’expérience dans ce type de dossier s’étrangle : « C’est une honte absolue, je n’ai jamais vu un truc pareil ! Ce n’est pas un dossier de procédure pénale, ce sont des notes blanches déguisées en procédure pénale ! Je ne comprends pas comment un juge d’instruction peut mettre en examen sur de tels éléments. Mais on est où, là ? »

Il semble que l’appartenance à la sphère autonome de R., de nationalité suisse et n’ayant jamais été condamné, et de G., la femme dont il gardait la fille le jour de son arrestation, ait suffit à éveiller les soupçons des enquêteurs. « Ça les excite… » soupire G. Au point que quatre jours après l’interpellation de R., mercredi 6 février, deux perquisitions sont simultanément menées dans leurs domiciles respectifs.

Il est 20 heures lorsque la fille de G. et sa baby-sitter rentrent de la piscine. L’accès à l’immeuble est bouclé et les policiers ont commencé à s’attaquer aux serrures de la porte de l’appartement. « La personne qui accompagnait ma fille a tout d’abord souhaité repartir avec elle, mais ils ont menacé de l’embarquer ; ma fille a donné les clefs. » S’ensuit une perquisition qui va durer une heure et demie, en l’absence de G. « Ils ont saisi tout le matériel informatique, raconte cette dernière. Y compris celui de la baby-sitter, des brochures sur les gilets jaunes, un carnet de notes… Des policières ont demandé à ma fille si elle voulait jouer “au jeu des questions”… », provoquant l’incrédulité de l’adolescente de 13 ans, à qui ils ont aussi demandé si sa mère « écrivait ». Durant cette perquisition, bien obligés de constater qu’il n’y avait pas grand-chose, les policiers ont fait savoir qu’ils « décommandaient les chiens ».

Ce qui n’a pas été le cas à l’autre bout de la ville, sensiblement à la même heure. Dans la maison où R. vit en colocation avec des amis, ce même 6 février, vers 20 h 30, des policiers s’annoncent et pénètrent dans l’appartement en brandissant un bouclier. « On était en train de préparer à manger, ils sont entrés, non cagoulés, sans trop crier, sur un air du Velvet Underground », raconte L., l’une des trois colocataires présentes sur place à ce moment-là.

Trois chiens sont déployés (a priori pour les stupéfiants, les explosifs et l’argent) dans l’appartement, dont les habitants sont cantonnés dans la cuisine sous la surveillance de deux policiers et en présence de R., menotté, leur pote détenu depuis deux jours et avec lequel ils n’ont pas le droit de communiquer.

« Les autres policiers ont investi toutes les chambres au rez-de-chaussée et à l’étage, raconte L. D’autres étaient dans le jardin, sûrement pour sécuriser les accès. Il devait y avoir une quarantaine de policiers. Ils ne nous ont d’abord rien dit de ce qui se passait, aucun document ne nous a été présenté. À la fin, celui qui semblait être le chef, en civil avec un brassard de police, a fini par nous dire que c’était une perquisition pour une affaire qui concernait notre ami et une association de malfaiteurs. » Les policiers photographient, filment (« Ils nous ont filmés dans la cuisine pendant une heure et demie », assure L.) et finissent par emporter tout le matériel informatique et téléphonique présent dans la maison. « Et aussi des bouquins et des documents administratifs et personnels », ajoute D., un colocataire qui, absent ce jour-là, a pu sauver son téléphone mais n’a pas retrouvé son ordinateur en rentrant.

À 23 h 30, les policiers s’en vont, puis reviennent quelques minutes plus tard et font un dernier tour au garage, avant de quitter définitivement les lieux.

Deux perquisitions simultanées, des dizaines d’agents déployés, des attitudes intimidantes, des saisies massives, pour quel résultat ? « Les éléments résultant des perquisitions n’ont pas à ce jour donné lieu à mise en examen supplétive ou à des mises en examen d’autres personnes. L’instruction se poursuit », nous a répondu par mail, vendredi soir, 10 jours après les faits, le procureur Dominique Alzeari.

Les paramètres très brumeux de cette séquence toulousaine résonnent avec les récentes consignes du parquet à Paris. Révélées par Le Canard enchaîné le 30 janvier dernier, elles invitent les magistrats à inscrire les personnes interpellées dans le cadre du mouvement des gilets jaunes au fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ), « même lorsque les fait ne sont pas constitués ».

À l’échelle locale, cette focalisation sur une « ultragauche » qui serait à la manœuvre parmi les gilets jaunes semble faire écho aux préoccupations du maire de la ville qui s’est imposée comme l’un des principaux foyers du mouvement. Jean-Luc Moudenc, après s’être glissé en décembre dans le cortège « en tenue de motard », avait assuré avoir vu de ses yeux l’alliance des militants d’extrême droite et d’extrême gauche : « J’ai été frappé par le mano a mano entre extrémistes de gauche et de droite, unis pour lancer des projectiles contre les forces de l’ordre », expliquait-il à Libération début janvier.

Une intuition assez nettement contredite samedi 9 février, lors de l’acte XIII, où une trentaine de militants d’extrême droite (notamment de Génération identitaire) ont attaqué le cortège, et précisément des militants de gauche. Mais c’est bien sur la sphère dite « autonome » que se sont abattues les foudres policières et judiciaires ces derniers jours, pas sur la « fachosphère » toulousaine.

Mercredi 13 février, G. a adressé à la juge d’instruction un courrier demandant la restitution de ses affaires saisies et contenant une facture de la dégradation de la porte. Concernant R., des requêtes pour nullité de procédure sur son interpellation et sa mise en examen ont été déposées vendredi 15 février par son avocate, qui résume : « Je ne sais pas ce que l’on reproche à mon client. »

La justice a deux mois pour se prononcer.


ARTICLE MEDIAPART 2

Toulouse (Haute-Garonne), de notre correspondant.– Un « contexte » mouvementé dans lequel les services de police et de justice ont besoin de « confort » pour enquêter. Se rendant à cet argument de l’avocat général, la chambre d’instruction de la cour d’appel du TGI de Toulouse a rejeté vendredi 22 février la demande de libération de R., mis en examen le 4 février pour association de malfaiteurs.

Ce jeune homme suisse de 26 ans, interpellé le 2 février en milieu de journée à Toulouse, peu avant le début des manifestations de l’acte XII, reste donc détenu à la maison d’arrêt de Seysses. La décision d’un éventuel renouvellement de son mandat de dépôt interviendra le 4 mai. D’ici là, les recours en nullité de procédure portant sur les conditions de son interpellation et les motifs de sa mise en examen, déposés le 15 février, devraient être examinés. Des audiences, non publiques, pourraient avoir lieu à cette fin dans le mois qui vient.

Lors de celle qui s’est tenue à la cour d’appel, mardi 19 février, son avocate Claire Dujardin a plaidé l’absence d’éléments concrets dans le dossier : « Nous sommes [face à] un énorme point d’interrogation quant aux faits matériels qui sont reprochés [à R.] », a-t-elle souligné. « Il y a une vraie difficulté à trouver une infraction caractérisée. Sauf à considérer qu’on lui reproche d’avoir participé à toutes les dégradations du mouvement des gilets jaunes… » De fait, le dossier est truffé de « PV de contexte » relatant par le menu les manifestations agitées des samedis toulousains depuis trois mois.

Charlotte Cambon, l’autre avocate de R., s’est elle attachée à déconstruire les raisons invoquées par le parquet pour le maintenir en détention : la sérénité et le « confort » de l’enquête, la continuité des investigations, la préservation des « preuves et indices » et l’assurance qu’il ne se concerte pas avec ses camarades.

« Aujourd’hui, il n’y a plus de doute sur son identité », a-t-elle remarqué. Dans un premier temps, refusant de donner son ADN, R. avait lâché une fausse identité, prétendant se nommer « Jérôme Schmidt ». Une « espièglerie » qui n’avait pas plu aux policiers. Quant aux « preuves et indices » supposés, « on nous demande en fait de le garder en détention pour trouver des éléments qui n’existent pas encore ! On devrait être dans une enquête préliminaire », a résumé Charlotte Cambon.

Face à ces arguments, l’avocat général a assumé la prééminence dans le dossier des « éléments de contexte » : « Depuis quelques semaines, la ville de Toulouse est soumise à des manifestations importantes qu’instrumentalisent des groupes qui ont un tout autre objectif », a ainsi assuré le magistrat. En l’occurrence, selon lui : « provoquer les forces de l’ordre et déclencher ce que certains voudraient être une insurrection nationale » qui serait le « but ultime de certains de ces groupes ».

En défense des « contrôles d’identité préventifs » permis par les réquisitions larges du parquet, il a insisté sur plusieurs points : la possession par R. de clés qui seraient, selon la police et la justice, les outils d’un « mode opératoire » (d’« ultragauche », donc) consistant à stocker vêtements et « munitions » dans les communs des bâtiments situés le long des parcours de manifestations ; le « marquage » des chiens de détection d’explosif à plusieurs endroits, lors de la perquisition au domicile de R. le 6 février ; et la découverte lors de cette même perquisition d’une trentaine d’ordinateurs et d’une quinzaine de téléphones portables attestant, selon l’avocat général, de son appartenance à « un groupe organisé ».