— Quand t’es seul, avec un avocat de perm, un peu paumé (mais bon qui est pas paumé quand t’attends dans la longue file d’attente à Pole Emploi?) et que t’as déjà un casier, c’est difficile d’être relaxé pour le refus de prélèvement ADN… Deux mois ferme c’est beaucoup quand même.
UN JOUR AU PALAIS. Toutes les semaines, « l’Obs » s’assied sur le banc d’une salle d’audience. N’importe où en France. N’importe quel jour. Et peu importe la nature des crimes et délits.
Où ? Au Tribunal de Grande Instance de Paris.
Quoi ? La 23e chambre correctionnelle, chargée des comparutions immédiates.
Quand ? 16 janvier 2019.
On dirait qu’Alexandre L. n’en a rien à faire (pour rester poli) de se retrouver face à la justice. Vague sosie de Joey Starr, l’homme de 38 ans, originaire de Guadeloupe, est au bord du fou rire quand la cour lui rappelle ce qui l’a conduit, ce mercredi de janvier 2019, devant la 23e chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris. Est-il en mesure de comprendre la gravité de sa situation ? Oui, a tranché l’enquête de personnalité qui n’a décelé chez lui aucune pathologie psychiatrique, aucune altération du discernement.
Début décembre, il a sorti un couteau et proféré des menaces de mort dans une agence Pôle emploi du 19e arrondissement parisien. Deux policiers, qui ont eu le plus grand mal du monde à le maîtriser, se sont également portés partie civile. On lui reproche aussi d’avoir refusé de donner ses empreintes après son interpellation.
« Ah mais moi j’aurais bien aimé participer… »
Pas de troubles psy et aucun antécédent judiciaire. Enfin presque. Après vérifications, on apprend qu’Alexandre L. avait été condamné fin novembre à quelques mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve, mais l’inscription n’a pas encore été faite à son casier. Le tout s’était déroulé quelques jours seulement avant l’incident à Pôle emploi.
« Les policiers ont trouvé des plans de cannabis chez moi… Je leur ai donné mes empreintes, c’est pour cela que j’ai refusé de le refaire une semaine plus tard au Pôle emploi. Ils les avaient déjà ! En plus, j’avais une blessure au pouce… », dit-il, toujours très nonchalant. Le président de la cour est piqué au vif. Ce magistrat expérimenté, arrivé avec une canne − et déjà croisé par « l’Obs » ici ou là −, engage avec le prévenu un débat sur le cannabis (bien loin du dossier du jour, il faut l’avouer) :
« Vous parlez d’un usage thérapeutique du cannabis, c’est bien ça ? Attention, si c’est accepté, cela ne se fera pas dans votre chambre, avec des petites plantations et une lampe halogène, monsieur !
– J’ai une maladie de la peau. Cela [le cannabis] me fait du bien.
– Oui et bien cela sera avec un pharmacien !
– Ah, mais moi j’aurais bien aimé participer…
– Ecrivez à votre député pour changer la loi ! »
Qui va à la chasse, perd sa place ?
Fin de la mise au point législative, reprise de l’examen du dossier. Alexandre L. est jugé pour une histoire digne d’une cour de récré. Alors qu’il attendait son tour dans la file d’attente de l’agence de Pôle emploi, il est accusé d’avoir sorti une arme pour garder sa place.
« Tu veux que je te saigne ? Je vais te planter ! »
C’est ce qu’il aurait lancé au doubleur, en lui plaçant un couteau au niveau du ventre.
Le doubleur en question, la soixantaine, a eu la « peur de sa vie », selon son avocate. D’ailleurs, il ne cherchait pas à piquer la place de son voisin, mais seulement à la récupérer après s’être assis quelques mètres plus loin en raison de sa « lombalgie ». La pagaille a été totale dans la petite agence de la rue Armand-Carrel, située à deux pas du parc des Buttes-Chaumont. Dans la bousculade, les policiers appelés à la rescousse ont reçu des coups de coude. Alexandre L. aurait même tenté de saisir un second couteau dans sa sacoche pour se faire justice. « Il était vraiment très agité, on a eu du mal à le mettre au sol pour le maîtriser », résume un des agents, appelé à la barre pour témoigner.
Dans son coin, le prévenu continue de se bidonner. Un couteau ? Quel couteau ? « C’était un peigne pour défriser les cheveux ! », lance-t-il. Alexandre L. détaille :
« Les femmes connaissent ce type de peigne. Il y a une partie classique pour se coiffer et de l’autre côté, un manche assez long et pointu. »
Toujours aussi goguenard, il assure n’avoir menacé personne, c’était une simple « plaisanterie », une blague qu’il « adore faire ». Sous le regard consterné de la cour, il mime la scène, hilare :
« Je l’ai vu en train de me doubler, alors je lui ai dit : ‘Tu veux un coup de peigne ?’ Ensuite je me suis retourné vers la file d’attente en répétant : ‘Est-ce que quelqu’un veut un coup de peigne ?’ Personne n’a répondu alors j’ai fait ma blague en disant : ‘Bon ben moi j’ai bien besoin d’un petit coup de peigne.’ J’ai enlevé ma casquette et je me suis coiffé… »
Le président de la cour, désespéré :
« Effectivement, c’est clownesque… »
« Il avait aussi une fourchette sur lui »
Alexandre L. continue ses provocations et explique vouloir se lancer dans une carrière de juriste : « Cela m’a ouvert de nouveaux horizons. J’aimerais bien travailler dans le social, pourquoi pas avocat ? La case prison m’a donné envie. » Nouvel éclat de rire :
« Ben oui quoi, c’est drôle cette situation. Je trouve ça marrant. »
Son conseil roule des yeux derrière d’immenses lunettes rondes. La jeune avocate est de « permanence ». Sa journée s’annonce longue, elle a la charge de tous les dossiers qui seront traités par la 23e chambre ce mercredi, et en l’espèce, Alexandre L. ne fait rien pour l’aider à obtenir la clémence de la cour. Sans grandes convictions, elle tente toutefois une dernière manœuvre, audacieuse : non seulement le couteau qui a servi aux menaces était un peigne, mais la seconde lame, retrouvée dans la sacoche de son client, n’avait rien d’une arme : « C’était un couteau à bout rond, utilisé pour tartiner. » D’ailleurs, dit-elle, Alexandre L. avait aussi une « fourchette » sur lui. Peine perdue, jusqu’au dernier moment, son client chercher à jouer au plus malin :
« Tout cela est ‘rocambolesque’ […] Je veux bien reconnaître que mon attitude semble inadaptée, vu les faits qui me sont reprochés. Mais franchement, mon comportement est tout à fait adapté aux faits réels ! »
La décision tombe, conforme aux réquisitions de la procureure : quatre mois ferme pour les menaces de mort avec arme et la rébellion, deux mois ferme pour le refus de se soumettre aux prélèvements ADN. Et quelques centaines d’euros pour le « doubleur » et les deux policiers chahutés.
Pas de quoi impressionner Alexandre L. :
« On s’en sort bien ! Merci et bonne journée ! »
Lucas Burel